Interview avec Steven Canals, co-créateur de la série « Pose »

Interview avec Steven Canals, co-créateur de la série « Pose »

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Je n’écouterai plus jamais de la même manière  Running up that Hill, l’une des plus célèbres chansons de Kate Bush. Lorsqu’elle est utilisée en arrière plan d’une scène entre Stan Bowes et Angel Evangelista, elle y ajoute un sens supplémentaire indéniable. La relation de ces deux-là est l’un des arcs les plus intéressants de la nouvelle série de la chaîne FX, Pose, co-créée par Ryan Murphy, Brad Falchuk et Steven Canals. La première saison de la série vient de se terminer et une deuxième a été officiellement commandée.

On attendait beaucoup de la nouvelle création de la paire Murphy et Falchuk. Après tout, on doit à ces deux-là la mini-série über-gay The assassination of Gianni Versace, et la série American Horror Story. Mais une série sur la scène voguing des années 80 pouvait-elle tenir la route comparé à une reconstitution d’un meurtre et à une série fantastique?

Pour la faire courte: oui.

L’une des plus grandes réussites de Pose est d’avoir enfin inclus la communauté trans à un sujet qui parle d’elle. Les créateurs de la série peuvent se targuer d’avoir réuni la plus grande distribution d’actrices trans à ce jour. Qui plus est, Pose n’hésite pas à parler de transition, de l’épidémie de VIH ou de prostitution et le fait avec honnêteté et vérité.

Hornet a pu rencontré le co-créateur, co-producteur exécutif et scénariste de la série, Steven Canals. Nous avons discuté de la genèse de la série, de l’impact de la ballroom scene sur la pop culture et de l’importance de mettre en avant la communauté trans, sans oublier d’évoquer la deuxième saison.

Indya Moore, l’une des stars de la série

Pose a marqué les esprits cet été et la communauté LGBTQ vous doit beaucoup d’avoir participé à créer la série. Qu’est ce que cela vous fait d’avoir pu faire connaître ainsi la culture voguing?

C’est un honneur et un privilège.  J’ai grandi dans le Bronx, dans les tours, au sein d’une famille de la classe ouvrière. Je crois que je ne pourrais même pas vous dire ce que je rêvais pour moi à ce moment-là. Ce que je peux vous dire, c’est que je n’aurais jamais cru que je vivrais la vie que je vis en ce moment. Quand je regarde d’où je viens et là où je suis maintenant, je suis très reconnaissant d’avoir le privilège de raconter des histoires aux côtés de collaborateurs comme Ryan Murphy et Brad Falchuk et de travailler avec une chaîne comme FX.

Je ne prends pas cette opportunité à la légère. Je pense qu’il y a là une occasion de pouvoir raconter des histoires vraiment importantes. Pas seulement pour divertir le public, mais aussi pour l’éduquer. Cela a toujours été mon idéologie en tant que scénariste: j’espère pouvoir faire les deux en même temps. Je suis tout simplement très reconnaissant d’avoir l’opportunité de le faire.

Vous avez donné de la vie à une culture et une scène que beaucoup d’entre nous avaient besoin de voir. Qu’est ce qui vous a poussé à proposer ces histoires là au grand public aujourd’hui?

Je crois qu’au fond, Pose a été conçu comme une déclaration d’amour à la communauté voguing. J’ai rencontré pour la première fois cette communauté au début de ma vingtaine, quand j’étais à l’université. J’étudiais le cinéma et je n’avais toujours pas fait mon coming-out à moi-même. J’ai été bouleversé par les membres cette communauté qui confrontés à la violence, la maladie et la pauvreté arrivait quand même à vivre leur vérité et à être vraiment eux-mêmes, tout en créant un lien communautaire et un filet de sauvetage pour eux-mêmes.

Si eux pouvait défendre leur propre vérité, alors je n’avais aucune excuse pour ne pas être authentique. De leur force, j’ai tiré ma force. Ils m’ont appris la résilience, ils m’ont appris comment m’aimer et comment être à l’aise avec mon identité de gay racisé [queer person of color]. Pose a été conçu comme une manière de dire merci — merci de m’avoir inspiré — et espérons que je ferai de même pour d’autres.

Steven Canals

Il est difficile de ne pas trouver un aspect de l’industrie du divertissement qui n’a pas été affecté ou qui n’a pas emprunté quelque chose à la culture voguing, non?

Que ce soit via la musique, la mode ou la danse, la culture pop a depuis des décennies — certains diront « emprunté », je dirais « volé » des éléments à la communauté ballroom. On a volé la communauté sans lui offrir la moindre reconnaissance. Je pense que cette série sert à mettre en valeur les contributions de cette communauté mais aussi à dire à certains que nous lui devons un grand merci.

Vous travaillez avec Brad Falchuk et Ryan Murphy qui sont des conteurs d’histoires — notamment LGBT — légendaires. Vos expériences dans l’industrie sont toutefois radicalement opposées. Comment est-ce d’ajouter votre point aux leurs? 

Je pense que dans tout groupe de scénaristes, on a besoin de diversité d’expériences. Je crois que cela enrichit la narration. J’aime le fait que notre groupe de scénaristes soit très réduit, mais nous avons de belles intersections de vies.

Au delà de Brad — qui est notre caution de « mec hétéro blanc », comme nous l’appelons souvent —, il y a Ryan est qui est un pionnier et un disrupteur génial. Il y a moi, qui vient avec ma propre expérience de gamin qui a grandi à New York. Et puis il y a Janet Mock, l’incroyable auteure, militante et actrice trans et Our Lady J, l’une des premières scénaristes trans et productrices de scripted television après avoir travaillé sur Transparent. Je crois que chacun de nous apporte la singularité de son expérience.

Janet Mock première femme trans racisée à diriger un épisode de série pour la télé

A ceux qui me demandent le genre de conversation que nous avons au sein du groupe de scénaristes, je réponds toujours « regardez juste la série ». Tout ce dont nous avons parlé se retrouve à l’écran. Ce qui se dit dans la salle des scénaristes reste dans la salle des scénaristes. C’est un espace sacré. Chacun vient et apporte son être tout entier. Nous avons parlé d’expériences très personnelles, intimes et importantes et nous les avons utilisées pour nourrir ces histoires. Cela a été une expérience merveilleusement collaborative et ça a été super positif. J’en suis très heureux.

Pour certains de la jeune génération, la culture ballroom est encore très nouvelle. Que voulez-vous qu’ils retirent de la série?

Je veux qu’ils voient que les balls sont une affaire de communauté. Ce sont des filets de sauvetage pour les jeunes gays et trans — principalement racisé.e.s — qui leur permet de s’entraider, de s’apporter un soutien moral et social et occasionnellement permet de trouver un toit pour ceux qui ont été rejetés pas seulement par leur famille mais aussi par la société.

La culture ballroom est importante. J’espère que la jeune génération verra au delà du glamour et des paillettes qu’on peut voir sur le floor. Il y a des catégories dans les balls qui prennent leurs racines dans la mode et la danse, mais cela va bien au delà. C’est tellement bouleversant… il y a ces jeunes gens qui sont en compétition et ce qu’ils font, c’est essentiellement représenter une personne ou une culture qui les a rejetées.

Ryan Jamaal Swain, alias « Damon »

Avec Pose, c’est peut-être la première fois qu’on voit ce qu’il y a derrière le glamour associé à la culture voguing. Ce qu’on voit, c’est la vérité toute nue.

Absolument. Il y a ce moment avec Blanca et Damon où elle lui dit « Tu ne fouleras jamais le tapis rouge des Oscars. » Je pense à cela par rapport à notre travail. Nous avons cette chance incroyable de permettre à ces comédien.ne.s de montrer leurs talents, et je pense à nos acteurs et à la réaction du public.

Qu’il s’agisse de Pose ou d’une autre série similaire, on parle de vies qui étaient considérées « moins bien que ». Avec cette série, nous rendons hommage à leur ténacité et à la beauté et la richesse de l’expérience trans. C’était incroyable de les voir tous sur le tapis rouge lors de la premières, de penser à la juxtaposition de la ballroom qui créé l’imaginaire et de nous qui sommes en train de le vivre.

D’une certaine manière, les réactions à Pose rappellent celles à RuPaul’s Drag Race lors que l’émission a été créée. Beaucoup de gens n’avaient juste jamais rien vu de tel. Pendant la conception de Pose, avez-vous trouvé ça surréaliste de voir le succès de Drag Race, qui emprunte lourdement à la scène et la culture ballroom?

Non, je trouvais ça génial, en fait. Je pense qu’il y a une différence entre ce que fait RuPaul et ce que font les gens quand ils « empruntent » à la communauté ballroom. RuPaul rend hommage à la communauté. Si vous regardez d’anciennes saisons de Drag Race, on y parle de Paris is Burning, des balls et de la culture house. C’est vraiment un hommage. Et une manière de reconnaître d’où ils viennent.

Que le télé-spectateur y prête attention est une toute autre conversation. Et je pense également que cela va bien au delà de Drag Race. Regardez les vidéos de Beyoncé et Lady Gaga, vous verrez à quel point la culture ballroom imprègne la culture pop.

A quel point était-il important d’être aussi authentique que possible en racontant les histoires de Pose?

Nous avions l’opportunité avec Pose de raconter l’histoire de la culture ballroom et d’amener la culture ballroom à nous pour la raconter. Nous avons fait appel à plusieurs consultants de la communauté, que ce soit pendant l’écriture ou pendant le tournage des scènes de balls. Quand vous regardez la série, la plupart des figurants vienent de la ballroom scene.

Et dans les scènes de balls, les panels de juges sont composés d’icônes de la communauté. Certains d’entre eux étaient même dans Paris is Burning — Freddie Pendavis, Hector Xtravaganza et Jose Xtravaganza. Nous avions l’occasion de les faire venir pour qu’ils nous apportent leur aide et au passage gagner un peu d’argent et je trouve ça génial.

Ryan Murphy avec les ballroom legends Hector Xtravaganza, Freddi Pendavis et Sol Pendavis

La série a été renouvelée pour une deuxième saison. Qu’allez-vous raconter?

L’action de Pose se situe dans le New York des années 80. L’une des choses dont j’aurai vraiment envie de parler une fois de retour dans la salle des scénaristes, c’est le militantisme de l’époque. Nous arrivons à un moment où le travail de Larry Kramer et d’Act Up est devenu prééminent. J’aimerais vraiment creuser cet aspect, comment l’activisme a-t-il pris forme et comment il était vu du point de vue de la communauté ballroom. Voilà quelque chose que j’aimerais raconter.

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